Qu’il vente, qu’il pleuve ou qu’il fasse « grand soleil », la muséographie à ciel ouvert est toujours difficile. Si l’on y ajoute la volonté de produire des expositions qui ont un faible impact environnemental, cela devient un véritable casse-tête. Pourtant des solutions existent qu’il nous semble intéressant de partager avec notre public.
Pour l’équipe de conception des expositions du jardin botanique de Neuchâtel, le but principal est d’apprendre au public à observer. C’est le plus grand avantage d’un espace ouvert en comparaison avec les sales fermées d’un musée : on y voit la nature dans toute sa diversité. L’important n’est donc pas de présenter des textes figés, mais d’inciter le visiteur à regarder le monde vivant. Pour cela, plusieurs astuces sont possibles grâce à la pose de postes attractifs pour les petits animaux comme pour les grands : abreuvoirs, nichoirs, hôtels à insectes, etc.
Bien entendu dans un jardin botanique l’attraction majeure est la diversité des floraisons qui attire une multitude de butineurs tels que des abeilles, des mouches et des papillons. Dans l’exposition « fleurs d’abeilles » (2013-2014), nous avions imaginé des spirales de plantes présentées à hauteur de notre regard. Des fiches permettaient de reconnaître les espèces d’abeilles spécialisées dans la récolte du pollen d’une unique espèce de végétal. Cela permettait ainsi de prendre conscience que l’une ne pouvait exister sans l’autre.
Le public ne vient pas dans un jardin botanique pour les mêmes raisons que dans un musée. Il s’y promène, admire une fleur, se laisse surprendre par un papillon, médite, rencontre des amis ; bref il se ressource. Lui demander de lire des textes dans un ordre bien établi est totalement illusoire. Même si la construction d’une exposition à l’extérieur se base aussi sur un scénario, chaque espace doit se suffire à lui-même. Il s’agit de surprendre le flâneur pour l’amener à s’intéresser au sujet. Chaque partie de l’exposition est un petit monde qui doit pouvoir éveiller la curiosité.
Le jardin des plantes magiques, retravaillé dans le cadre de l’exposition « Plantes médicinales. Infusions des savoirs » (2020-2021), en est un bon exemple. Chaudron, balai, bûcher : trois objets au cœur de la collection plantent le décor. On sait qu’on va y parler de sorcières. Visiteuses et visiteurs ont leurs a priori, clairement inscrit dans l’inconscient collectif. La première image qu’ils découvrent est celle d’une femme volant sur un balai. C’est la déesse Frigg peinte sur le mur d’une cathédrale au 12e siècle. La magie opère : l’histoire est lue jusqu’au bout, sur des placards rappelant ceux d’annonce à la plèbe. La figure de la sorcière est déconstruite jusqu’à l’acte final, celui de la série complète de centaines de noms d’hommes et de femmes condamnés pour sorcellerie à Neuchâtel entre le 15e et le 17e siècle.
Si le public d’un jardin botanique lit peu les textes, il est friand d’expériences sensorielles. Lui offrir ces expériences, par exemple en lui permettant de toucher des objets exposés, est un défi qu’il est important de relever.
Dans l’exposition « Terre d’outils » (2015-2016), les objets avaient toute leur importance. La manière de les exposer aussi. Il s’agissait de les protéger afin qu’ils ne soient pas détériorés par les conditions météorologiques, mais suffisamment proches du public pour que celui-ci puisse les toucher. Prendre un tamis dans les mains ou sentir la lourdeur d’un marteau sont des expériences qui en disent plus que n’importe quel texte. Pourtant comment comprendre la manière idoine d’utiliser ces outils de la terre ? Plus de 50 petits reportages filmés permettaient d’observer le geste juste tout en sauvant de l’oubli le savoir-faire immatériel des artisans et cultivateurs.
Vous l’aurez bien compris : si une personne se rend dans les salles d’un musée, il y va pour découvrir une exposition, mais s’il se rend dans un jardin, c’est pour y flâner et éviter de trop réfléchir. Comment dès lors l’intéresser à des thématiques parfois pesantes ? La meilleure façon est de lui donner la possibilité de s’amuser.
L’exposition « Forêts tropicales. Pour qui sonne le glas » (2019) en est un bon exemple. Comment transmettre des mauvaises nouvelles à son public ? Afin de l’intéresser à la cause de la protection urgente des forêts, trente thèmes ont été abordés sous forme de quiz. Aux questions posées, les visiteuses et visiteurs choisissaient entre deux ou trois réponses à choix. L’important n’était pas qu’ils fassent juste ou faux, mais qu’ils continuent la lecture après avoir découvert qu’elle était la bonne réponse. L’avantage de ce type d’exposition est que chaque installation pouvait donner des informations importantes sans que le public s’oblige à voir toute l’exposition. C’est donc au gré de nombreuses promenades que certains habitués ont fini par lire l’ensemble des textes !
Lors d’une visite d’exposition il est essentiel de pouvoir s’asseoir, autant dans les musées que dans les sites en plein air. Et pourquoi ne pas profiter de le faire en apprenant de nouvelles choses ?
La grande table de plus de 20 m, installée dans le verger, a été construite pour la présentation de l’exposition « Belles à croquer » (2014), déclinant la thématique de la cuisine sauvage et des plantes comestibles que l’on peut trouver dans les prairies, les haies et les forêts. Tout en lisant des informations particulières sur chaque espèce, le public pouvait l’observer dans un bac situé au centre de la table. Cerise sur le gâteau, nous invitions les gourmands à goûter avec parcimonie feuilles ou fruits de ces délices végétaux.
Cette table communautaire est devenue l’un des lieux préférés du public. Elle a même servi de lieu de cérémonie du partage intergénérationnel de la nourriture lors de la fête de Chuseok (Corée du Sud) coïncidant avec la fête des 20 ans de l’installation du Jardin botanique de Neuchâtel dans le vallon de l’Ermitage (2018).
Si le Jardin botanique de Neuchâtel parle de plantes, il insiste aussi sur les liens indéfectibles que celles-ci ont avec l’ensemble des autres êtres vivants, à commencer par les bactéries, les champignons et les animaux. Mais ceci ne s’est pas fait en un jour. Pouvoir exposer des témoins du lointain passé géologique nous aide à raconter cette histoire. C’est une prise de risque importante car les objets exposés peuvent se révéler fragiles et ne pas supporter les importantes variations de température et d’humidité. Pour cette raison, rares sont les jardins botaniques dans lesquels sont exposés des fossiles. Pourtant les préparateurs en paléontologie connaissent les techniques qui permettent de conserver ces objets.
La nouvelle mouture du jardin de l’évolution (2015) a permis d’intégrer quatre vitrines présentant des témoins fossilisés du monde d’avant. Certains de ces organismes ont aujourd’hui disparu à l’image des fougères à graines du Carbonifère (300 millions d’années), mais également du ptérosaure du Crétacé (114 millions d’années) dont on peut découvrir la tête fossilisée en compagnie d’un fossile de fleur du même site de découverte.
L’empreinte écologique de la création des expositions est un thème qui préoccupe le Jardin botanique de Neuchâtel. En matière d’énergie notamment nous cherchons à favoriser les sources photovoltaïques d’électricité. L’exposition « Fleurs d’abeilles » fut du reste la première exposition à ne fonctionner qu’au moyen de l’énergie solaire. En effet, il n’y a aucun problème à présenter des films, placer de l’éclairage ou alimenter des appareils scientifiques (loupe binoculaire, caméra filmant l’intérieur d’une ruche, etc.) à l’aide de quelques panneaux photovoltaïques.
L’alpinum Claude Favarger, ouvert en 2017, en est un bon exemple. Cette collection de plantes alpines a été complétée par l’installation d’une carte en relief du bassin méditerranéen et de son pourtour. Cette carte, dupliquée plusieurs fois, a été complétée par un système d’éclairage fonctionnant à l’énergie solaire, qui permet de situer le massif montagneux dont la flore est présentée au pied du public.
En 2019, grâce à l’association « compaz » établie à Neuchâtel, le Jardin botanique se munit de deux « affiches solaires » de l’exposition « Forêts tropicales. Pour qui sonne le glas ? ». Cette première mondiale permet de placer de manière élégante l’affiche de l’exposition, tout en produisant de l’énergie pour le maintien du climat des serres subtropicales de l’institution. Si les panneaux photovoltaïques restent, les affiches sont interchangeables.
L’utilisation des matériaux comme support aux textes est une problématique plus délicate. Nous avons testé plusieurs impressions sur bois, mais malheureusement, à l’heure actuelle, cette matière noble n’est pas adaptée pour des expositions de longue durée, à cause des variations climatiques subies. L’impression sur toile de lin ou de coton bio est tout-à-fait possible et donne de beaux résultats pour les reproductions d’œuvres graphiques et de photographies. Lorsque l’utilisation de supports synthétiques (aluminium, polycarbonates, etc.) est inévitable, sachez que le recyclage et la réutilisation comme nouveau panneau d’impression est possible. Nous avons eu recourt à ce procédé plusieurs fois à notre entière satisfaction.